I tried to pay my thoughts inside to not turn into Mr. Hyde



Tic, tac.
Douze heures et quinze minutes.

« Voilà, bon appétit. » volaille accompagnée de pommes de terre et de légumes secs, ainsi qu’une miche de pain fraîche. « Vous ne restez pas déjeuner avec nous, Mahina ? » pourquoi ce regard emplit de gêne et ces rougeurs suspectes ? « Que Monsieur m’excuse, j’ai déjà énormément grignoté en préparant le repas, en plus du petit-déjeuner ─ Oh, comme c’est gênant... » c’est entendu. Ne la mettons pas plus dans l’embarras : et puis il n’y a pas mort d’homme ; c’est humain d’avoir faim. Je préfère ça. « Pas de souci, mais permettez-vous au moins une pause et pensez à collationner à quatre heures. » elle s’incline légèrement en avant, signe de politesse. « Merci beaucoup, Monsieur. » reprise. « Ah et Monsieur... je me suis permise d’entrer dans la « salle interdite » pour replacer votre dictionnaire dans la bibliothèque adéquat : vous l’aviez oublié dans la salle de lecture. » moins plaisant, mais tant que ce n’est pas Prisca, ça me va. « Hum. Merci, Mahina. »

Le repas se poursuit sans encombre.
La discussion aussi ... ou du moins, presque.

Diiing.
« Et tu as accepté ? » « On dirait bien. » « Je reste ici. » xyloglottement-parlant, Prisca n’est pas inthalassopotable (comprenez par là qu’elle n’est pas facile) et ce n’est pas un fait nouveau. « Très bien. » « Et ça ne te dérange pas ? Tu n’insistes pas ? » « Pas le moins du monde. » ça m’arrange, même. « Je viens. Je sais qu’il va gesticuler comme un babouin en te voyant arriver et que ça va m’agacer, mais je viens. » forcément. Enfer et damnation. « Attention. » « Hum ? »
gling, crash.
Verre qui choit lourdement sur le sol et qui se brise en mille morceaux. « Toutes mes félicitations : le troisième verre en une matinée, c’est une bonne moyenne. Tu crois que ça pousse dans les arbres, toi, les verres ? » « Ne me fais pas tout ce cinéma pour de la vaisselle sans valeur. Et puis ta bonniche est là pour ramasser, il faut bien la faire bouger un peu ; elle s’empatte à vue d’œil ta native. Bourrelet par-ci, bourrelet par-là. » le manque de congruité porté à son paroxysme, autant à mon encontre qu’à celui de Mahina. Non. Le racisme. En fait, c’est tout simplement les paroles de trop. Et puis cet air dédaigneux...

Suffit. Le calme légendaire n’est plus.

Furibond, je me lève vivement ─
bunk !
le genou cogne contre le bord de la table ─ , l’empoigne par le bras, la hisse ─ avec véhémence ─ et la force à reculer tout contre le mur. Tension palpable. Visage anguleux prés du sien et main sur le côté droit de sa caboche. « Maintenant, écoute moi bien » calme-toi, Lloyd. Respire.
Tap tap tap.
« Monsieur, une lettre pour v ─ » je ne me risque pas à tourner la tête vers elle : j’imagine déjà assez bien ses grands yeux ronds interrogateurs. « Oh. Veuillez m’excuser... » relâche-toi, Lloyd. « De qui provient la missive ? » voix dure. « De Monsieur Émeric, Monsieur. » lui. Même de Nui il arrive à me casser les noix. J’ajuste le col de la chemise de Prisca avant de me déscotcher d’elle. « Nous en reparlerons, Prisca. Je n’oublie pas. » et de saisir l’enveloppe bleutée et cachetée. « Pas de dessert ? » je crains fort qu’il n’atterrisse malencontreusement sur elle en cours de route, alors il ne vaut mieux pas. Et toute cette surtension est parvenue à me couper l’appétit.



Dix-sept heures et quelques.
Tic, tac.


(La pièce est vaste. Les murs sont couleur champagne tandis que les moulures sont dorées. Dans le fond de la salle, deux grandes portes-fenêtres ─ encadrées de rideaux bleus ─ permettent aux rayons de soleil d’éclairer la pièce lorsque le beau temps est au rendez-vous. Deux appliques luminaires dorées sont installées : une à gauche et l’autre à droite. Devant se trouvent un bureau plat en acajou/bronze aux allures anciennes ─ style bureau Louis XVI ─ en ordre et deux chaises assorties. Une armoire en bois massif est placée juste à côté de la porte-fenêtre droite. Un peu plus en avant ─ toujours sur la droite ─ demeure une table divan en cuir prête à accueillir les patients pour l'auscultation. Au sol, un carrelage à l'aspect bleuté où figurent des carrés violacés et penchés tous les deux carreaux.)

Ploc. Plic-plic. Plic. Plic. Ploc.


Encore une journée pluvieuse. « [...] Oui [...] forcez-la à avaler quelque chose [...] » le cabinet est à demi plongé dans l’obscurité. « [...] il serait plus judicieux de lui donner un antipyrétique afin de faire baisser la fièvre [...] oui, bien entendu, je comprends [...] Passez au cabinet dès que vous le pouvez. » une petite formule de politesse et le téléphone est raccroché. Si la fièvre ne baisse pas avec ça, il faudra songer à une hospitalisation d’urgence et pousser les examens plus loin. Adossé à l’armoire en bois massif, je reste quelques secondes à contempler la pluie par la porte-fenêtre en bois à l’ouverture dite « à la française ». Qu'est-ce qui peut bien provoquer cette fièvre persistante ?

Ploc. Plic-plic. Plic. Plic. Ploc.


Inappétence. Toux. Maintenant fièvre qui ne descend pas depuis deux jours. Je plisse les yeux et me frotte les tempes. Attendons qu’elle arrive avant de tirer des conclusions hâtives. Tousse. Mais avant... Doigts de la main droite qui effleurent le bureau et qui glissent jusqu’àu carnet de rendez-vous ouvert. Dix-sept heures cinquante ; Keridwen Caldin. Hum ? Je pensais pourtant que nous devions nous voir demain et non aujourd’hui. Soit. Je verrais bien assez tôt si je me suis emmêlé les pinceaux ─ comprenez par là que demoiselle Caldin est du genre ponctuelle (pour ce qui est de nos rencontres j’entends : je ne suis pas encore dans sa tête pour savoir si cela est général ou non). Un cas bien fragile que voilà. Plus d’une dizaine d’années maintenant que nous nous rencontrons régulièrement afin de nous assurer que tout est bon au niveau de son traitement. Ce ne doit pas être une partie de plaisir pour elle d’être suivie ainsi, mais c’est le prix à payer pour vivre : la voir pleine de vie est la plus belle des récompenses.

Je sens un sourire en coin poindre.

Que va-t-elle me raconter aujourd’hui ? Regard sur le cadran. Dix-sept heures quarante-cinq ; elle ne devrait plus tarder. Je croise les bras, m’installe sur le bord du bureau et regarde la porte. Il n’y a pas foule cet après-midi, ça permet de faire une petite coupure ─ enfin, ça découle surtout d’une annulation de dernière minute à la base. « Mademoiselle Keridwen ne devrait plus tarder Mahina. Vous pourrez la faire directement entrer dans mon bureau. » elle sort de la petite salle de soins accolée au cabinet médical et acquiesce : en six années, elle a bien appris à retenir la physionomie de ladite jeune femme.

Ploc. Plic-plic. Plic. Plic. Ploc.