Ne sens-tu pas cet air qui t’effleure, un soufflé nouveau où la vie est en fleurs ?



(gilet sans manches noir ─ en laine italienne, six boutons de fermeture, ainsi que deux poches passepoilées élégantes ─, chemise blanche, cravate en grenadine de soie, pantalon de costume noir d’ébène ─ en laine italienne ─, chaussures assorties)

Mahina allume, l’obscurité ayant fait son nid.

La voici. Elle sourit.

Ses grands yeux fauves semblent se perdre sur moi. Pourquoi ? Pourquoi donc me scrutes-tu de la sorte, Keridwen ? On pourrait penser que nous ne nous sommes pas vus depuis une année entière alors que notre dernier entrevenu date à peine du mois dernier. Quelque chose aurait-il changé ? ─ je ne pense pas que les petites ridules supplémentaires soient si visibles que cela. Dis-moi donc, jeune fille.

La porte se ferme derrière son passage et nous voici face à face ; seuls. Tu me sembles bien plus fatiguée que d’habitude : est-ce à cause de la maladie ? du traitement ? ou d’un élément extérieur ? ou peut-être un package ? « Mademoiselle Caldin. » un petit sourire et un geste de la main droite pour lui souhaiter le bonsoir. Je l’observe attentivement tandis qu’elle s’installe. Que penses-tu cacher sous ce gilet surdimensionné ? Plissement léger de l’orphelin doré.

Tu n’échapperas pas à la balance.

« Il semblerait que vous soyez passée à travers les gouttes, c’est déjà une bonne chose. » n’allons pas trop vite et laissons-lui le temps de se poser : c’est d’autant plus important que je souhaite prendre sa tension par la suite. Et puis bien que nous ne soyons plus des étrangers l’un pour l’autre, il semble indispensable de mettre à l’aise. Je descends du bureau pour m’engouffrer dans l’un de ces meubles contenant des dossiers ─ plus ou moins épais et triés par ordre alphabétique ─ de toutes les couleurs. « Comment vous sentez-vous aujourd’hui ? » autant joindre l’utile à l’agréable. Je l’ai ! Ce fameux dossier carmin. Les battants du mobilier se referment et me voilà le nez dans la myriade de documents. « Les affaires se portent-elles bien ? » je ne suis pas sans ignorer sa profession... et les efforts physiques que cela implique. Vingt-trois ans. Cinquante et un kilos pour un mètre soixante pile. Je relève la tête. En soi, elle est dans la moyenne : sa corpulence est considérée comme « normale ». Les petits talons tintinnabulent sur le sol en marbre ─
clic, clic, clic, clic
. Mais tout peut si vite basculer. Coup d’œil discret. Hum.

Clac !
Le porte-documents claque quelque peu sur le secrétaire ─ faisant même rebondir la paire de gants fuligineux qui se trouve dangereusement sur le bord. « Dites-moi tout Keridwen. Je veux tout savoir. » ma voix se fait enjouée tandis que je m'installe sur la chaise qui lui fait face : seul le mobilier en acajou nous sépare. « Tout. Dans les moindres détails. » ... même les pires symptômes gastriques s’il y a. Des papiers sont éparpillés sur le bureau en quelques secondes. ─ des courbes diverses et variées, des ordonnances relatives au possible renouvellement du traitement, des anciens résultats de prises de sang : rien de bien inhabituel en soi, nul besoin de s’alarmer. Pas tout de suite. « Pas de secret entre nous. » le tabou n’a aucunement sa place en médecine. Tous les paramètres sont à prendre en compte : il est donc nécessaire qu’elle soit bien en phase avec ce qu’elle s’apprête à me répondre.

Ploc. Plic-plic. Plic. Plic. Ploc.


Mon regard se perd l’espace d’une décaseconde sur elle. Nous en avons parcouru du chemin pour en arriver à ce résultat. La vie est un perpétuel combat. Il faut du temps Keridwen ; il faut du temps. De longues heures d’entretien avec son pneumologue à essayer de trouver les solutions adéquates ; un bon ami. Elle n’est plus l’enfant alitée et aux portes de la mort ─ une petite bulle de chagrin en soi ─ ; mais nous ne sommes jamais assez prudent, pas vrai ? À tout ange son combat, paraît-il. L’avenir est tellement incertain et encore plus depuis quelques jours avec l’assassinat de la Prophétesse native. Hum.

Le stylo-plume est prêt à s’activer et l’oreille est attentive.