Je suis le reflet de n'importe quoi.



« Un peu beaucoup de travail ─ prudence, tu sais qu’il faut te ménager , je crois que c’est le talent qui veut ça [...] Quelques crampes aux intestins, rien de bien grave ─ des crampes ; rien d’inhabituel car commun au vu du traitement, mais à surveiller. J’essaie de suivre toujours une alimentation sérieuse. » le stylo se fige tandis que l’orphelin doré se fixe sur l’interlocutrice. Essayer ; quel mauvais verbe ; maître de l’illusion. Il faut faire bien plus que juste « essayer », mademoiselle Caldin. « Et j’ai froid. Souvent. » le fait d’avoir froid en permanence peut résulter de plusieurs causes : une anémie, la fatigue ─ elle a dit elle-même qu'elle a beaucoup de travail en ce moment ─, une mauvaise circulation du sang (comptons dedans la maladie de Raynaud) ─ non ─, le suivi d’un régime trop strict ─ assez peu vraisemblable pour Keridwen ─, les soucis de thyroïde ─ il y aurait d’autres signes ─, l’hypoglycémie réactive, la prise de médicaments même peut y contribuer ─ cette option n’est pas à négliger. Hum. Tant de facteurs possibles et ─ « Et vous ? Comment allez-vous ? » je ─ Surprise. C’est assez inattendu.

Silence.

« Et votre fille ? » ... elle me donne bien des soucis.

Lâchant progressivement le stylo sur le cahier quasi-plein, je me penche un peu en avant ─ coudes tout contre l’acajou ─ et m’accorde quelques secondes pour formuler ma pensée. « Pas de secret entre nous. » elle n’a semble-t-il pas manqué de sauter sur l’occasion. Tu es rusée. Je sens un rictus poindre sur mes lippes, envers (et surtout) contre moi. « Bien. » sans doute un peu fatigué pour des raisons plus qu’évidentes, mais bien. « Je vais bien. » quant à Carla... « Mais je me porterais sans doute un peu mieux si une certaine furie ne se sauvait pas tous les quatre matins. » il semblerait que ce soit un jeu pour elle, mais il faudra bien qu’un jour elle comprenne que je ne peux me permettre de laisser les patients en plan pour lui courir après. « Elle redouble d’ingéniosité ces derniers temps, c’en est surprenant. » ... et me pose tellement de questions sur sa mère. Le sourcil se fronce quelque peu face à ce constat. Comme il est navrant de ne pas savoir tourner la page ; la douleur psychique, cette faiblesse humaine.

Peine.

Ploc. Plic-plic. Plic. Plic. Ploc.


Mon regard cette fois-ci ne peut supporter celui de la jeune femme et je finis par me lever à nouveau. Cette fidéle amie que nous nommerons « la bougeotte » est de retour. Rebondissons. « Cela dit... » arrivé devant sa personne, je prends un air grave « ... j’ai quelque chose à vous demander Keridwen. Mais je crains que vous ne trouviez cela horrible tant vous vous y cramponnez. » je m’incline doucettement vers elle (parfum floral et frais, boisé et subtil ─ ayant pour notes de tête l’iris de toscane, pour notes de coeur le santal du sri lanka et pour notes de fond un accord cuir ─), pose une main sur son épaule ─ ô combien frêle ─ gauche, prends quelques secondes et lui chuchote un faussement-sérieux « Accepteriez-vous de quitter votre gilet pour moi miss Caldin... » je reste en suspens à côté de son oreille, silencieux, jetant par la même occasion de furtifs coups d’œil vers la porte. « ... s’il vous plaît ? »

Je prends des tournants ; je me tourmente.

Nous nous connaissons depuis dix bonnes années maintenant et les taquineries sont parfois de mise. Lorsque le temps de culer arrive, nos visages sont face à face et mon sourire n’en est que plus amusé. Ma dextre s’est (quant à elle) emparée entre temps du poignet homologue, aussi discrètement qu’il m’est permis de le faire. Il convient de vérifier son pouls. « C’est assez rapide et irrégulier. » mais mettons cela sur la possible gêne que j’ai pu lui faire ressentir en la prenant ainsi de court : nous y reviendrons en fin de séance. Je prends un peu d’élan et donne une petite impulsion : la voilà debout. Port de bras et main tendue vers elle. « Nous y allons ? Installez-vous sur la table et respirez un bon coup. » le chemin jusqu’au mobilier est vite effectué et me voici en train de préparer les divers instruments. « Attention c’est un peu froid. » la froideur du stéthoscope n’a pas son pareil.

Je plonge dans ses yeux : sans rancune ?