repoussons nos limites.




Atchoum !
Atchoum ! Atch - Atchoum !
Sternutation sans fin.

Treize heures trente. Installé derrière le bureau en acajou, à bout de souffle, je tente en vain de reprendre le dessus sur une furieuse crise d’asthme. Le chat, cette créature du diable ! « Regarde papa le gros minou que j’ai trouvé dans la cour ! » le... « minou » ? Elle le sait pourtant. Je crois que ma paupière gauche en tremble encore, nerveusement. Une heure que je suis là en train d’éternuer et tousser sans réellement réussir à calmer quoique ce soit. Respiration sifflante. De tous les animaux qui courent les rues, il aura fallu qu’elle tombe sur un félin ce midi.
Hum. Hum.
« Il est beau hein ? Dis, on pourra le garder ? »

Sshhhhhh !


Premier drame : la griffure de trop ; celle qui fait que j’attrape mistigri par la peau du cou pour le flanquer à la porte ─ après une insupportable course-poursuite dans le salon : comment passer pour un père aigri aux yeux de sa fille, chapitre premier. La réaction est quasi-instantanée ─ boursoufflure moyenne mi-blanche, mi-rouge accompagnée du phénomène récurrent de démangeaison. Heureusement que ce n'est pas arrivé à Prisca, elle aurait soutenu avoir attrapé la Bartonellose. Un peu de désinfectant fera l’affaire. Second drame ? Le « non » catégorique et les pleurs de Carla.

Pauvre de moi. Pour un jour de repos, c’est réussi.

Hum. Hum. Koff koff !
Le calme est revenu, la jeune enfant étant repartie à l’école.
Koff koff !
« Vous n'allez toujours pas mieux, Monsieur ? Je m'inquiète, je vous entends tousser de l'étage... » dextre devant la bouche
─ Koff koff ! ─
, je lui fais un geste à senestre, lui indiquant qu’il n’y a rien d’alarmant et que ça va finir par passer.
Je n’arrive pas à en placer une, mais ça va aller.

C’est vers seize heures qu’une intense fatigue s’installe et m’achève ; joue sur le bronze du bureau. Trou noir.

Quand sonne dix-huit heures, il est alors temps de se rendre sur la place de Ranunga. « Vous devriez peut-être rester à la maison, la crise a été particulièrement ─ » des gens ont besoin de moi ─ de nous, de l’ensemble de la communauté ─, je n’ai pas le droit de rester là, bras ballants. « Je vais beaucoup mieux, ne vous en faites pas. » coup d’œil sur le cadran de la montre. « Je serai de retour vers vingt heures trente ; d’ici là soyez tranquille, tout ira bien. » tilt. « Oh d'ailleurs Mahina. Pensez bien à fermer constamment la porte d'entrée : des patients m'ont dit que les cambriolages sont légion dans les environs ces derniers jours. » et je ne voudrais surtout pas que quelque chose de grave se déroule en ma demeure ; ces gens-là sont sans foi ni loi. Elle sait comment me contacter en cas d’urgence de toute façon. « Vous pouvez compter sur moi docteur ! » une paire de sourires entendus et nous y allons.

C’est les bras encombrés d’un gros sac contenant des miches de pain que le paysage défile.

(allure décontractée ─ sweat bleu marine/rouge/noir, tee-shirt blanc col rond, jean noir et gants qui le sont tout autant)

Vague de chaleur et frissons.
La fièvre n’est pas encore totalement tombée ─ j’en ai les joues qui me semblent brûler.
Et cette griffure qui ne cesse de m’insupporter !
Grat-grat. Grat-grat.


Oh, ne serait-ce pas─ « Aata ! » deux semaines sont déjà passées ? « Lloyd ! Quel plaisir de te revoir. » et la voila la célèbre accolade ! Je m’entends légèrement grogner, comme un réflexe à ce contact précipité. Mais ne faisons pas tout un plat d’un geste aussi banal, surtout venant d’Aata. « Comment vas-tu ? Et depuis quand es-tu rentré ? Je ne m’attendais pas à te croiser ce soir. » Rire nerveux. Il est rare de m’entendre tutoyer, mais il est l’une des rares personnes avec qui je le pratique, ce tutoiement. « J’imagine que nous allons au même endroit. A moins que tu ne m’aies croisé par hasard et appelé pour t’aider à résoudre un problème dont la solution t’échappe ? Dis-moi tout, mais avant cela, racontes-moi ce qui s’est passé à Ranunga pendant mon absence ! » « Ce qui s’est passé à Ranunga... » l’information met quelques secondes à monter au cerveau. « Tu n’es donc pas au courant. » comment aurait-il pu l’être, retiré comme il l’avait été ? « Ranunga a été le centre d’un tragique évènement : la Prophétesse a été assassinée. Ils ont fort heureusement trouvé le coupable ─ ou plutôt la coupable ─, mais pendant ce temps le méfait est commis et reste irréversible. » comme la vie ne tient qu’à un seul et unique fil ; la vie défile vite. Hum. « Sur une note plus positive, quelques personnes ont rejoint l’association. » pause. « Et en toute franchise c’est un peu les choses nouvelles que je trouve à dire : les épidémies sont de retour et j’ai assez peu le temps de mettre le nez dehors. » au grand désarroi de Mahina.
Hum. Hum.
Respire, Lloyd. Je fixe mon regard sur lui, comme pour essayer de canaliser mon énergie ailleurs. « Mais raconte-moi donc ta petite pause ! As-tu fait quelques trouvailles ? »
Koff koff !
une boule de pain manque de déborder du paquet en papier et c’est sans grâce aucune que j’évite au mieux la catastrophe. Sacrilège que de faire tomber du pain ! Ce n’est définitivement pas mon jour.

D’ici trois minutes nous devrions arriver au local.

« J’espère que nous aurons assez de mains pour ce soir car avant-hier ce n’était pas vraiment le cas et nous n’avons que difficilement pu distribuer. » sans doute le contrecoup de l’affaire sordide : les gens ont appris à redoubler de méfiance depuis, me semble t-il.